Premier test mental - où ranger le futur ?

C'est la première question que je pose lors de l'introduction aux cours que je dispense.

Il suffit de fermer les yeux. Et de visualiser où se trouve le futur. Est-il devant vous ? Derrière vous ? Au dessus ? En dessous ? A droite ? A gauche ?

J'ai découvert cette question saugrenue dans un petit livre de Serge Latouche "Survivre au développement" où il évoque dans une note de bas de page le peuple amérindien Aymara. Si vous êtes "normal", la réponse est évidente :le futur est devant.

Pourtant l'écrivain facétieux Eugène Ionesco faisait remarquer :

Nous avons le passé derrière nous, l'avenir devant. On ne voit pas l'avenir, on voit le passé. C'est curieux car nous n'avons pas les yeux dans le dos.

Si vous posez la question à un Aymara, il vous répondra le plus naturellement du monde que, pardi, l'avenir est derrière ! Et à y regarder de plus près, il y a du Ionesco dans cette réponse de bon sens. Le passé est devant nous car nous pouvons le voir. Le futur nous est caché, il est donc derrière nous.

On finit par s'apercevoir que si nous avons ce penchant vers une représentation du devenir devant nous c'est que nous sommes plutôt dans le déplacement que dans l'observation. 

Tandis que les Aymaras regardent, les Occidentaux marchent.

Ou courrent ? Et au fait vers où allons-nous ?

Je trouve cet exemple si profond, dans la manière qu'il a de révéler un paradigme qui semble si "naturel" alors qu'il est bien un artefact dont découle toute une manière de voir le monde : à savoir la marche en avant vers le progrès. C'est à dire que plus on avance, mieux c'est. Pro (devant) - grès (marche- de gradior comme dans plantigrade).

Et que dire des perceptions du temps cyclique ? Le karma correspond-il à nous faire accepter la vie telle qu'elle est, en renonçant définitivement à l'idée de progression ou de regression.